#Moietmesparents – N°1
Comment mon extraordinaire carrière de VRP a pris fin avant même d’avoir pu vraiment commencer.
Ce dimanche-là, avec mon ami Giovanni, on a eu l’idée du siècle, vous savez, le genre d’idée où, dans un dessin animé, y a une ampoule qui s’allume au-dessus de votre tête. Un projet de génie qui allait tout simplement nous rendre riches.
Giovanni possédait un stock de graines de tournesol, celles qu’on achète dans des petits sachets en plastique à la boulangerie. On a passé un bon moment à fabriquer des pochettes en papier de deux tailles différentes et à y disposer quelques graines. Ensuite, on a consciencieusement refermé les paquets avec un morceau de scotch et sur les petites, on a écrit « 1 franc », sur les grandes, « 2 francs ». Il fallait qu’il y en ait pour toutes les bourses, vous comprenez.
Et on est partis, tels des explorateurs, à l’assaut du grand lotissement dans lequel on habitait. On a passé l’après-midi à écumer les six étages de chaque cage d’escalier de chaque allée du quartier. Comme Giovanni était timide, c’est moi qui sortais le même discours bien rôdé à chaque voisin qui nous ouvrait la porte. « Bonjour, on vend des graines de tournesol ! Vous pouvez les planter dans un pot et après, vous aurez de magnifiques tournesols ! » La plupart des adultes sur lesquels on tombait nous connaissaient au moins de vue et semblaient particulièrement impressionnés par ce projet qui devait à coup sûr nous rendre millionnaires. Ou peut-être étaient-ils simplement attendris qu’on puisse vouloir leur faire croire qu’en mettant des graines déjà grillées et salées en terre, il puisse un jour en sortir une fleur. Pour nous, ce n’était pas du tout une arnaque, entendons-nous bien : on était persuadés par notre boniment ! « Il suffit de bien arroser tous les jours », je rajoutais, si jamais un regard s’avérait un peu sceptique.
À la fin de l’après-midi, Giovanni et moi étions riches d’une bonne vingtaine de pièces de un et deux francs, récoltées à la sueur de notre front. On s’est donc séparés après avoir partagé notre butin, pressés de pouvoir recommencer le week-end suivant.
Mais lorsque je suis rentrée chez moi et que j’ai montré fièrement mes pièces à mon père en lui expliquant l’idée de génie qu’on avait eue, sa réaction n’a pas du tout été celle escomptée. Moi qui m’attendais à des félicitations, voire des applaudissements, ou au moins un « C’est bien, ma fille, tu iras loin dans la vie ! », j’ai vite compris que j‘aurais mieux fait d’aller ranger mes pièces dans le tiroir de mon bureau sans rien dire à personne. Les génies sont toujours incompris, j’aurais pourtant dû le savoir. D’un air scandalisé, mon père m’a donc expliqué que ce que j’avais fait était honteux : « Non mais tu te rends compte, arnaquer les gens comme ça, et nos voisins en plus ? Je vais avoir l’air de quoi, moi, quand je les croiserai ? »
Il m’a donc obligée à aller rendre une par une toutes les pièces durement gagnées, et j’ai été à nouveau sonner à chacune des portes, vaguement honteuse, l’ombre de mon père mécontent dans mon dos. Une voisine, en souriant, a tenté de lui souffler que ce n’était pas bien grave, que je pouvais garder les deux francs qu’elle m’avait donnés, mais il n’en n’a jamais démordu et tout mon pécule s’est volatilisé.
Quand on est rentrés à la maison ensuite, je lui ai jeté un regard en coin, et j’ai eu envie de lui faire remarquer à quel point il me paraissait injuste d’avoir dû rendre tout l’argent sans pour autant récupérer la moindre graine. Parce que bien sûr, il avait dit en rigolant aux voisins qu’ils pouvaient conserver les sachets.
C’est vrai, quoi. À défaut de remplir ma tirelire, j’aurais au moins pu transformer notre jardin en un champ de tournesols majestueux…
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Le pourquoi du projet #Moietmesparents est expliqué juste ici : goo.gl/z2CSuG
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